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Avocat au barreau de Nice

Maître Alexandre Gaspoz

La production de preuves anonymisées acceptées dans le cadre d’un licenciement pour faute grave

par | Août 6, 2025

Maître Alexandre GASPOZ, Avocat en droit du travail à NICE et sur l’ensemble du territoire national, vous assiste et vous conseille en matière de preuves.

En l’espèce plusieurs employés ont dénoncé le comportement d’un de leur collègue en raison de son attitude menaçante et agressive, faisant régner un climat de peur au sein de l’entreprise. Dès lors, l’employeur a pris des mesures afin de neutraliser ces comportements et de limiter les contacts avec les salariés ayant témoigné. Cela s’est caractérisé par des changements d’horaires, notamment faisant passer le salarié de l’équipe de l’après-midi à l’équipe de nuit. Cependant celui-ci n’a pas respecté ces changements, ce qui a contribué à justifier son licenciement pour faute grave. En plus de ne pas respecter ses changements d’équipe, son licenciement s’est justifié par le climat de peur que faisait régner le salarié au sein de l’entreprise.

Le salarié cependant a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes, et devant la cour d’appel de Chambéry. Pour justifier le licenciement pour faute grave, l’employeur a du apporter des preuves qui ont fait l’objet de controverses, notamment par rapport à leur admissibilité. En effet, l’employeur a fourni devant la Cour d’appel deux témoignages anonymisés de la part de salariés de l’entreprise. Ces témoignages ont par ailleurs été établis devant un huissier de justice, ayant dressé des constats d’audition des salariés, ne mentionnant pas leur nom. C’est sous cette unique condition qu’ils ont accepté de témoigner, craignant les représailles de la part du salarié licencié.

La question qui s’est posé à la Cour s’est axée autour de l’utilisation de témoignages anonymisés afin de justifier un licenciement pour faute grave, dans le respect du droit à un procès équitable.

Cet arrêt met en exergue la nécessité de mettre en balance plusieurs principes fondamentaux afin d’apprécier l’admissibilité de certaines preuves. Ainsi la Cour d’appel a rejeté ces témoignages, les estimant non probant, et considère le licenciement sans cause réelle et sérieuse. En effet elle estime que ces éléments constituaient des témoignages anonymes, dépourvus de valeur en l’absence d’autres preuves supplémentaire.

L’employeur justifie cette anonymisation par la peur des représailles, et invoque à la fois son obligation légale de sécurité à l’égard des employés, son droit à la preuve, ainsi que le respect de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit au procès équitable. Il forme ainsi un pourvoi en cassation, en faisant valoir la crédibilité de ces témoignages.

La Cour de cassation casse la décision de la Cour d’appel.

D’abord, elle tiens à mettre au clair et à différencier les termes de « témoignages anonymisés » et de « témoignages anonymes ».

En effet, un témoignage anonyme se caractérise par l’absence totale de communication de l’identité du témoin, y compris à la partie qui le produit. Cependant, les témoignages anonymisés le sont a posteriori, pour la protection des témoins, et l’identité sera seulement connue de l’employeur et de l’huissier de justice. Ces témoignages sont estimé admissibles par la Cour de cassation, à condition que leur utilisation respecte certains principes.

En effet, en principe ces témoignages sont admis mais doivent être étayés par d’autres éléments, et ne doivent ainsi pas représenter la seule preuve dans l’affaire. Ce principe fut affirmé par la Cour de cassation elle-même dans une décision du 19 avril 2023. Elles ne peuvent être prises en considération que si elles sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence. Ainsi, le témoignage anonymisé ne saurait à lui seul, fonder une décision.

C’est à ce titre que l’arrêt peut surprendre, dans la mesure où la mise en balance et l’analyse de plusieurs principes ont abouti à un affinement de la position de la cour de cassation. En effet la Cour d’appel avait refusé l’admissibilité de ces preuves car elles portaient atteinte au contradictoire.

Cependant ce principe est à mettre en balance avec le droit à la preuve. Elle rappelle en effet les fondamentaux d’un procès équitable, en ce qu’il garantit à chaque partie la possibilité de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de désavantage manifeste par rapport à son adversaire. De ce fait, selon ses dires, l’apport de ces témoignages ne respecteraient pas ce principe.

Cependant la Cour de cassation a posé une limite à cette appréciation et affirme que ce principe doit être mis en balance avec le droit de la preuve. En effet, en présence d’intérêts concurrents, les principes du contradictoire et d’égalité des armes peuvent être restreint par le principe du droit à la preuve, pouvant justifier la production d’élément y portant atteinte. Cette production devant s’avérer indispensable, et l’atteinte devant être proportionnée au but poursuivi.

En l’espèce, en l’absence d’autres éléments de preuve, la Cour de cassation juge que le fait de corroborer des comportements agressifs par témoignages anonymisés pour justifier un licenciement pour faute grave respecte un stricte équilibre entre le droit à la preuve et le droit à la défense. Le principe du contradictoire a été respecté car ces témoignages ont été communiqués au salarié, et l’anonymisation étant indispensable à la protection des témoins, l’employeur respectant son obligation légale de sécurité. L’employeur devait ainsi réagir en présence de dénonciation de tels faits dans son entreprise, exposant sa responsabilité à défaut. Il devait par conséquent prendre des précautions, sa seule preuve résidant dans ces témoignages recueillis par un officier ministériel, permettant d’accorder une certaine crédibilité à ces preuves.

Ainsi, la Cour de cassation a admis la recevabilité de témoignages anonymisés même en l’absence d’autres éléments de preuve supplémentaire en s’appuyant sur l’existence de certaines garanties. L’appréciation de leur crédibilité, le respect de l’équité de la procédure dans son ensemble ainsi que la nécessité de protéger des salariés ont permis de justifier cette solution. La Cour infléchit sa jurisprudence antérieure, l’adaptant aux circonstances particulières de l’espèce, validant le licenciement du salarié concerné.

Maître Alexandre GASPOZ, Avocat en droit social à NICE et dans les Alpes-Maritimes, vous assiste et vous conseille en matière de licenciement, que vous soyez employeur ou salarié.

(Cass, Soc. 19 mars 2025, n°23-19.154 P)

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