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Avocat au barreau de Nice

Maître Alexandre Gaspoz

Un pouvoir réduit à peau de chagrin ?

par | Fév 5, 2020

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Le pouvoir du juge judiciaire en cas de contrôle sur l’extension d’un accord collectif est restreint et encadré.

Convention et accord collectif – Le pouvoir du juge judiciaire en cas d’extension d’un accord collectif

Office du juge judiciaire en cas d’extension d’un accord collectif

Maître Alexandre GASPOZ, Avocat en droit du travail à NICE, vous informe sur l’étendue du contrôle offert au juge en cas d’extension d’un accord collectif.

– Il n’appartient pas au juge judiciaire de vérifier que l’employeur compris dans le champ d’application professionnel et territorial d’un accord professionnel étendu a signé celui-ci ou relève d’une organisation patronale représentative dans le champ de l’accord et en est signataire.

– Cet arrêt constitue une évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation;

– Il réduit le rôle du juge judiciaire dans le contrôle de l’extension des accords collectifs de branche dans le but d’éviter des redondances et contradictions éventuelles avec le contrôle opéré par le juge administratif.
Cass. soc., 27 nov. 2019, n° 17-31.442, P+B+R+I : JurisData n° 2019-020937

Le juge judiciaire, et en dernier lieu la chambre sociale de la Cour de cassation, avait été saisi de l’opposabilité d’un avenant à la convention collective Syntec, applicable initialement aux bureaux d’études, avenant prévoyant l’application de la convention aux activités d’analyse, essais et inspections techniques.

À la suite de l’extension de cet avenant par un arrêté du 17 mai 2010, plusieurs sociétés ont saisi le tribunal de grande instance pour faire annuler l’avenant et subsidiairement le déclarer inopposable à leur égard.

Les fédérations patronales signataires de l’avenant ont contesté l’arrêt d’appel ayant accueilli la demande d’inopposabilité.

La cour d’appel avait relevé que la licéité de l’arrêté d’extension n’avait pas été contestée devant le juge administratif mais, selon elle, cela n’empêchait pas les sociétés de contester l’opposabilité à leur égard de l’avenant conventionnel dans la mesure où elles n’adhèrent pas aux fédérations signataires et où aucune organisation patronale représentative dans leur secteur d’activité n’adhère à ces fédérations.

Ces dernières contestent cette interprétation dans leur pourvoi car, selon elles, la représentativité des organisations patronales et de salariés avait nécessairement été appréciée par le ministre ayant pris l’arrêté d’extension ; elle ne pouvait dès lors plus être contestée devant le juge judiciaire.

La Cour de cassation accueille le pourvoi au motif que, en présence d’un accord collectif étendu, le juge judiciaire n’a pas à vérifier que l’employeur compris dans le champ d’application professionnel et territorial de l’accord en est signataire ou relève d’une organisation patronale représentative dans le champ de l’accord et l’ayant signé.

Or, dans cette affaire, l’avenant avait fait l’objet d’un arrêté d’extension et le juge judiciaire n’était dès lors pas compétent pour vérifier que l’avenant avait été signé par les organisations patronales et syndicales représentatives de ce secteur.

Il aurait tout au plus pu saisir le juge administratif d’une exception d’illégalité s’il avait eu un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté d’extension.

La cour d’appel ne pouvait donc déclarer l’avenant inopposable au motif que les sociétés contestant l’application de l’accord n’adhèrent pas aux fédérations signataires et qu’aucune organisation patronale représentative dans leur secteur d’activité n’adhère à ces fédérations.

Selon les termes employés dans la note explicative de l’arrêt diffusée par la Cour de cassation, cet arrêt constitue un « revirement partiel ».

Et comme elle le fait désormais lorsqu’elle fait évoluer sa jurisprudence, la Cour de cassation explique au préalable l’état du droit.

Elle rappelle ainsi que l’arrêté d’extension a pour effet de rendre obligatoires les dispositions d’un accord professionnel ou interprofessionnel pour tous les salariés et employeurs compris dans son champ d’application professionnel et territorial (C. trav., art. L. 2261-15).

Pour être étendu, l’accord doit avoir été négocié et conclu au sein d’une commission paritaire composée d’organisations de salariés et d’employeurs représentatives dans le champ d’application de l’accord (C. trav., art. L. 2261-19).

Cette dernière condition est indispensable à la validité de l’arrêté d’extension, laquelle est appréciée par le juge administratif.

La Cour de cassation précise ainsi qu’il ne revient pas au juge judiciaire d’apprécier la régularité des conditions de négociation et de conclusion de l’accord étendu puisque cette vérification est incluse dans le contrôle de la légalité de l’arrêté d’extension, donc dans le champ de compétences du juge administratif.

Toujours dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation rappelle que, le juge judiciaire peut se prononcer sur le champ d’application sectoriel d’un accord interprofessionnel étendu qui ne préciserait pas ce champ ; mais concernant les accords professionnels, ou les accords de branche, elle décide dans cet arrêt du 27 novembre 2019 qu’il n’appartient plus au juge judiciaire de vérifier que l’employeur compris dans le champ d’application professionnel et territorial de l’accord a signé celui-ci ou relève d’une organisation patronale représentative dans le champ de l’accord et en est signataire.

Elle remet ainsi en question une jurisprudence jusqu’ici constante et qu’elle a précédemment rappelé.

Dans cette affaire, le juge judiciaire pouvait seulement vérifier que l’activité des sociétés qui contestaient l’opposabilité de l’accord à leur égard relevait bien du champ de cet accord.

Si le contrôle judiciaire persiste pour les accords interprofessionnels, il évolue concernant les accords professionnels.

1. La vérification du champ d’application d’un accord étendu

Il entre dans l’office du juge de rechercher si les conditions d’application de l’accord sont réunies, notamment à la suite de son extension.

Mais la question est de savoir ce que le juge judiciaire et le juge administratif peuvent respectivement contrôler dans un processus qui fait intervenir à la fois un acte de droit privé, l’accord, et un acte administratif, l’arrêté ministériel d’extension.

La jurisprudence judiciaire a pour habitude de décider que l’arrêté d’extension ne peut pas rendre l’accord collectif étendu applicable à des entreprises faisant partie d’un champ territorial ou professionnel non représenté par les organisations signataires de l’accord .

Le juge judiciaire doit ainsi rechercher si une organisation patronale représentative du secteur d’activité dont relève l’employeur est signataire de l’accord ou adhérente d’une organisation patronale signataire de ce même accord.

C’est là l’objet de l’élargissement mais non de l’extension.

Un accord étendu ne peut ainsi être rendu obligatoire dans un secteur d’activité non représenté au sein de l’organisation patronale représentative signataire.

La désignation d’un représentant syndical au CHSCT en application de l’accord-cadre du 17 mars 1975 sur l’amélioration des conditions de travail étendu pouvait ainsi être contestée dans les entreprises relevant d’une branche dont aucune des organisations patronales représentatives n’avait signé l’accord ou adhéré à une organisation signataire .

Pour cet accord spécifiquement, seules les entreprises adhérentes au MEDEF (CNPF à l’époque de la signature de l’accord) pouvaient être concernées.

Le juge judiciaire reste également compétent pour vérifier qu’un employeur exerce une activité entrant dans le champ d’application d’un accord, qu’il soit professionnel ou interprofessionnel.

Mais pour les accords professionnels étendus, le juge administratif s’assure déjà de la représentativité des organisations patronales invitées à la négociation.

La compétence du juge judiciaire amenait alors une superposition de contrôles à laquelle la Cour de cassation a souhaité mettre fin.

2. Le contrôle de légalité de l’extension d’un accord de branche

L’extension des accords de branche a tendance à être facilitée pour éviter les distorsions de concurrence et assurer une couverture conventionnelle plus homogène des salariés. Mais les contentieux en la matière risquent d’entraver la négociation collective dans les branches et de contrecarrer ce faisant les évolutions en la matière.

L’articulation entre le contrôle du juge administratif et celui opéré par le juge judiciaire fait partie des risques de contentieux auxquels des réponses ont été apportées à de nombreuses reprises.

Le Conseil d’État laisse au juge judiciaire le soin de statuer sur la licéité d’un accord collectif objet d’un arrêté d’agrément, au besoin en décidant de surseoir à statuer jusqu’à ce que le juge judiciaire se prononce sur la légalité de l’accord.

Le juge administratif est en revanche compétent pour annuler un arrêté d’extension lorsque le ministre ayant pris l’arrêté a excédé ses pouvoirs, par exemple en subordonnant l’extension de certaines clauses de l’accord à la conclusion d’un accord collectif ultérieur.

Il revenait également au juge judiciaire de rechercher si le syndicat signataire ou adhérent à une organisation signataire était représentatif dans le secteur d’activité où l’application de l’accord est envisagée.

Dans le même temps, le Conseil d’État vérifiait lui aussi cette représentativité pour déterminer si toutes les organisations représentatives avaient été invitées à la négociation de l’accord, condition nécessaire pour que l’accord puisse être étendu.

Si cette condition n’est pas remplie, l’arrêté d’extension doit être annulé, ce qui relève de la compétence du juge administratif.

Un double contrôle sur la représentativité des organisations patronales était ainsi opéré et un risque de contradiction ne pouvait être totalement écarté.

C’est ce risque que la Cour de cassation a voulu supprimer en affirmant dans l’arrêt commenté que, concernant les accords professionnels, le juge judiciaire n’est pas compétent pour vérifier que l’employeur est signataire de l’accord ou relève d’une organisation patronale représentative dans le champ de l’accord et signataire de celui-ci.

Il faut néanmoins que l’activité de l’employeur soit comprise dans le champ d’application professionnel et territorial de l’accord.

À défaut le juge judiciaire reste compétent pour en écarter l’application.

Sur le terrain des principes, l’arrêt se réfère expressément à la séparation des pouvoirs pour écarter la compétence du juge judiciaire dans la vérification des conditions de négociation et de conclusion d’un accord collectif étendu.

Ce contrôle incombe en effet au juge administratif dans le cadre de son contrôle de légalité de l’arrêté d’extension. Une fois que l’accord a fait l’objet d’un arrêté d’extension, le champ du contrôle opéré par le juge judiciaire se réduit. En cas de doute sérieux sur la légalité de l’arrêté d’extension, le juge judiciaire peut saisir le juge administratif d’une exception d’illégalité.

La justification principale de l’arrêt semble surtout reposer sur un argument d’opportunité et de sécurité juridique.

Le juge administratif peut également connaître de la légalité de l’accord, acte de droit privé, dans trois types de situation. Il est compétent lorsqu’il est manifeste au vu d’une jurisprudence établie que le juge saisi au principal peut trancher lui-même le litige, lorsqu’une difficulté d’interprétation ou de conformité au droit de l’Union européenne est soulevée ou enfin lorsque les mesures prises pour l’application de la loi doivent être définies par un accord collectif ayant fait l’objet d’un arrêté d’extension ou d’agrément.

Le juge administratif peut notamment prononcer la nullité d’un arrêté d’extension lorsque l’accord étendu comporte des stipulations illicites et l’illicéité de l’accord peut être constatée par le juge administratif dès lors qu’elle ressort manifestement d’une jurisprudence établie de la Cour de cassation.

Il n’est pas nécessaire sur ce point que la Cour de cassation ait expressément tranché un problème spécifique ; il suffit qu’elle ait fourni une interprétation claire et constante de la règle de droit.

Le juge administratif a, par exemple, pu se déclarer compétent pour accueillir la contestation de la validité d’un accord restreignant les droits syndicaux que les représentants des salariés tiennent des lois et règlements en vigueur, ce qu’une jurisprudence établie de la Cour de cassation prohibe nettement.

Dans ce même arrêt, le Conseil d’État avait en revanche sursis à statuer sur la question de savoir si l’accord pouvait légalement subordonner à un agrément de toutes les parties signataires l’adhésion à la convention d’organisations non représentatives, faute de jurisprudence établie sur ce point.

Sans surseoir à statuer, le juge administratif peut ainsi s’en remettre à la jurisprudence judiciaire, une interrogation subsistant sur la définition d’une jurisprudence bien établie.

La décision du Tribunal des conflits de 2011 indique clairement que cette première exception à la compétence judiciaire est justifiée par la nécessité d’une bonne administration de la justice, laquelle impose que les justiciables puissent voir leur affaire jugée dans un délai raisonnable.

Ce critère de compétence représente une « mutation de l’appréhension générale de ce qu’est l’ordre juridictionnel français ».

En cela l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 27 novembre 2019 rejoint le Tribunal des conflits et le Conseil d’État.

L’exigence d’une bonne administration de la justice pour justifier la mise à l’écart des principes traditionnels de répartition des compétences entre juge judiciaire et juge administratif avait pu être considérée comme trop imprécise et se résumer à un simple argument d’opportunité ; il peut toutefois se révéler de bon sens.

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