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Avocat au barreau de Nice

Maître Alexandre Gaspoz

Preuve des heures supplémentaires : l’office du juge précisé

par | Avr 2, 2020

La Cour de cassation rappelle l’équilibre probatoire en matière d’heures supplémentaires puisque la charge de la preuve ne pèse pas spécialement sur l’une ou l’autre des parties

Maître Alexandre GASPOZ, Avocat en droit du travail à NICE, vous informe en matière d’heures supplémentaires

Les juges du fond doivent apprécier les éléments produits par le salarié à l’appui de sa demande en paiement d’heures supplémentaires au regard de ceux produits par l’employeur et ce, afin que les juges, dès lors que le salarié a produit des éléments factuels revêtant un minimum de précision, se livrent à une pesée des éléments de preuve produits par l’une et l’autre des parties.

Un salarié s’est pourvu en cassation, faisant grief à l’arrêt d’appel de l’avoir débouté de sa demande au titre des heures supplémentaires qu’il prétend avoir accomplies et des congés payés afférents.

À cette occasion, il a fait valoir notamment qu’en vertu de l’article L. 3171-4 du Code du travail , le salarié doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

Selon lui, dès lors que le décompte des heures supplémentaires effectuées produit devant la cour d’appel, même différent de celui produit en première instance, étaient suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre, les juges du fond ne pouvaient écarter les tableaux qu’il a produits devant eux au seul motif que le décompte fourni comportait des contradictions manifestes avec les documents présentés devant le conseil des prud’hommes.

Reprochant à la cour d’appel d’avoir fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt rendu.

Dans son arrêt, elle vise l’article L. 3171-4 du Code du travail lequel dispose qu’« en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable ».

La Haute Juridiction invoque par ailleurs deux autres articles du Code du travail :

Een premier lieu, l’article L. 3171-2, alinéa 1er aux termes duquel « lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés ».

En second lieu, l’article L. 3171-3 qui, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 , décide que « l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ».

Selon la Cour, il résulte de ces dispositions que, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

L’arrêt rendu paraît conforme à la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation ; mais, à y regarder de plus près et à la lecture de la note explicative de la décision, il faut comprendre que la chambre sociale décide, « sans modifier l’ordre des étapes de la règle probatoire », puisque, conformément à l’article 6 du Code de procédure civile , tout demandeur en justice doit rapporter des éléments au soutien de ses prétentions, d’« abandonner la notion d’étaiement, pouvant être source de confusion avec celle de preuve, en y substituant l’expression de présentation par le salarié d’éléments à l’appui de sa demande ».

Elle rappelle que ces éléments doivent être suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que le salarié prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments, en mettant l’accent en parallèle sur les obligations pesant sur ce dernier quant au contrôle des heures de travail effectuées.

Est enfin rappelé que, lorsqu’ils retiennent l’existence d’heures supplémentaires, les juges du fond évaluent souverainement, sans être tenus de préciser le détail de leur calcul, l’importance de celles-ci et les créances salariales s’y rapportant.

Il s’évince de l’arrêt que la nature de l’appréciation des éléments suffisants doit se faire aussi par rapport à ce que répond l’employeur.

En l’espèce, à la cour d’appel il était reproché d’avoir construit uniquement son analyse par rapport aux seuls éléments rapportés par le salarié.

C’est une précision quant à l’équilibre probatoire puisque la charge de la preuve ne pèse pas spécialement sur l’une ou l’autre des parties.

Voilà pourquoi, la cour d’appel ne pouvait se contenter d’analyser le caractère suffisamment précis que par rapport aux éléments du salarié.

Le juge forge sa conviction sur l’ensemble des faits avancés, sans donner une portée excessive aux éléments suffisamment précis rapportés par le salarié au risque de faire peser la charge de la preuve exclusivement sur ce dernier.

La note explicative de l’arrêt ne dit pas autre chose : par sa décision, la Cour de cassation « entend souligner que les juges du fond doivent apprécier les éléments produits par le salarié à l’appui de sa demande au regard de ceux produits par l’employeur et ce afin que les juges, dès lors que le salarié a produit des éléments factuels revêtant un minimum de précision, se livrent à une pesée des éléments de preuve produits par l’une et l’autre des parties, ce qui est en définitive la finalité du régime de preuve partagée.

C’est précisément pour avoir fait porter son analyse sur les seules pièces produites en l’espèce par le salarié, qui versait aux débats des décomptes d’heures qu’il prétendait avoir réalisées, aboutissant ainsi à faire peser la charge de la preuve des heures supplémentaires exclusivement sur celui-ci, que l’arrêt de la cour d’appel est censuré.

La chambre sociale marque ainsi sa volonté de contrôler le respect par les juges du fond du mécanisme probatoire propre aux heures supplémentaires ».

Cass. soc., 18 mars 2020, n° 18-10.919, FP-P+B+R+I

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