Maître Alexandre GASPOZ, Avocat en droit du travail à NICE, vous conseille en matière de modification du contrat de travail du salarié.
Lorsque les conditions de l’article L. 1224-1 du Code du travail ne sont pas réunies, le transfert du contrat de travail d’un salarié d’une entreprise à une autre constitue une modification de ce contrat qui ne peut intervenir sans son accord exprès, lequel ne peut résulter de la seule poursuite du travail.
(Cass. soc., 24 mai 2023, no 21-12.066 F-D)
SUR L’AFFAIRE
En l’espèce, le salarié a été engagé à compter du 10 mai 2004, en qualité de manager par la société Services pétroliers Schlumberger (la société SPS). Ayant signé une lettre d’engagement le 1er septembre 2014, il a ensuite travaillé aux États-Unis pour la société Schlumberger Technology Corporation, qui a mis fin à son contrat de travail le 25 juin 2015. Le contrat initial avec SPS n’a pas été rompu de manière formelle, même si le salarié avait apparemment reçu le solde de tout compte.
Le 7 octobre 2015, partant de l’hypothèse que le contrat avec la société SPS n’avait pas été rompu par son engagement auprès de la société Schlumberger Technology Corporation, le salarié a saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir la résiliation judiciaire du contrat de travail initial aux torts de l’employeur. Il fait valoir qu’il n’avait pas donné son accord exprès au changement d’employeur, de sorte que le contrat de travail initial n’aurait jamais été rompu et que les conditions de sa résiliation judiciaire étaient remplies.
SUR L’ANALYSE DE LA DECISION
Changement d’employeur par cession/novation du contrat de travail
Pour rejeter la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail conclu avec la société SPS, la cour d’appel de Paris a retenu qu’il n’était pas établi, ni même seulement soutenu que le salarié n’avait pas reçu le solde de tout compte, l’avait contesté ou avait, à tout le moins, interrogé la société SPS sur la signification et les conséquences que la remise de ces documents sociaux pouvaient avoir sur la poursuite, ou au contraire, la cessation de la relation contractuelle avec la société française. Dans ces conditions, la cour d’appel avait estimé que la volonté des parties et du salarié nécessaire à la reconnaissance de la novation du contrat de travail par changement d’employeur découlait clairement des faits et actes intervenus entre les parties.
La décision est cassée par le rappel d’une règle générale : « Lorsque les conditions de l’article L. 1224-1 du code du travail ne sont pas réunies, le transfert du contrat de travail d’un salarié d’une entreprise à une autre constitue une modification de ce contrat qui ne peut intervenir sans son accord exprès, lequel ne peut résulter de la seule poursuite du travail ». Et la Cour de cassation de constater que la cour d’appel s’était contentée de déduire des circonstances que le contrat de travail avec la société américaine Schlumberger s’était substitué au contrat de travail avec la société française SPS. Or, en procédant ainsi, « sans caractériser que le salarié avait donné son accord au changement d’employeur », la cour d’appel a violé l’article L. 1224-1 du Code du travail et l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016.
La solution est logique. Lorsque les conditions du transfert légal d’entreprise (C. trav., art. L. 1224-1) ne sont pas réunies, le changement d’employeur dépend d’un accord du salarié, lequel doit être nécessairement exprès. Dans un arrêt rendu le 8 avril 2009 (Cass. soc., 8 avr., no 08-41.046), a été posé comme principe que « le changement d’employeur qui constitue une novation du contrat de travail ne peut, sauf dispositions législatives contraires, résulter que d’une acceptation expresse du salarié ».
Dans ce schéma, c’est le même contrat de travail qui se poursuit, faisant pour cette raison obstacle à ce que soit prévue une période d’essai, l’ancienneté étant par ailleurs maintenue. Naturellement, le salarié a tout le loisir de refuser le changement d’employeur, le refus ne pouvant, en soi, justifier un licenciement.
La difficulté pratique consiste à déterminer les conditions dans lesquelles le salarié est considéré comme ayant donné son consentement exprès au changement d’employeur. Un tel consentement doit, à notre avis, être entouré de toutes les précautions formelles. Le salarié sera ainsi invité à signer un écrit, de préférence rédigé par les deux parties, par lequel il consent à la substitution d’employeur et reconnaît avoir eu connaissance de toutes les conséquences attachées à ce changement. Comme le révèle l’arrêt commenté, ou même d’autres avant celui-ci (Cass. soc., 22 juin 2011, no 10-30.043), démontrer l’existence d’un tel accord n’est pas chose aisée, et ce, d’autant que l’accord exprès ne peut résulter de la seule poursuite du travail (Cass. soc., 10 oct. 2006, no 04-46.134 ; Cass. soc., 17 juin 2009, no 08-42.615). C’est également ce point que rappelle l’arrêt commenté.
À défaut d’accord exprès, il conviendrait de considérer que le contrat de travail avec la société SPS avait été simplement suspendu. Dormant, le contrat de travail ne donnait lieu ni à l’exécution de prestations par le salarié, ni au paiement de salaire par l’employeur. Il pouvait dès lors être l’objet d’une action en résiliation judiciaire, laquelle devra être appréciée par la juridiction de renvoi.
Changement d’employeur et mobilité intragroupe
Si la question du changement volontaire d’employeur peut se poser à l’occasion d’une opération qui se rapproche d’un transfert légal d’entreprise sans en remplir toutefois les conditions (à l’occasion d’un changement de prestataire de service par exemple), elle est souvent évoquée dans le contexte d’une mobilité intragroupe. Sur ce point, la Cour de cassation a fixé une jurisprudence claire, exigeant que la convention tripartite – qui organise la continuité de la relation de travail – soit signée entre le salarié et ses employeurs successifs, ce qui exclut la conclusion d’accords séparés avec chacun des employeurs concernés (Cass. soc., 26 oct. 2022, no 21-10.495).
Cette convention tripartite fixera les modalités de substitution d’employeur, le plus souvent par rupture du contrat de travail initial accompagnée de la conclusion d’un nouveau contrat, en réglant la date du changement d’employeur, les modalités de reprise d’ancienneté, la rémunération, la classification, le sort des congés payés, le sort des clauses contractuelles, l’éventuelle période probatoire. Rappelons que la rupture conventionnelle n’est pas un véhicule pertinent pour organiser une mobilité intragroupe car ce mode de rupture correspond à des situations entraînant une perte définitive d’emploi, ce qui n’est pas le cas d’une mobilité intragroupe qui repose sur la continuité de l’emploi (Cass. soc., 8 juin 2016, no 15-17.555).
On notera enfin que même lorsque le groupe est de dimension internationale, le salarié étant appelé à passer d’une entité française à une entité étrangère, le droit français a vocation à s’appliquer à cette opération contractuelle, mettant en jeu soit l’exécution du contrat de travail initial, soit son extinction. Dans les deux cas, la loi française devrait s’appliquer en tant que loi choisie par les parties ou, à défaut, en tant que loi du lieu habituel de travail (voir Règl. CE no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, 17 juin 2008, Rome I). Savoir si le transfert contractuel du contrat est possible (et selon quelles modalités) sous la perspective de l’entité qui reprend le salarié est une question qui devrait relever du droit du pays concerné.
Maître Alexandre GASPOZ, Avocat en droit social à NICE, vous conseille en matière de transfert de contrat de travail et de changement d’employeur.