Action en responsabilité contractuelle : les précisions de la Cour de cassation sur l’interruption du délai de prescription
L’interruption, puis la suspension de la prescription quinquennale de l’action en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres révélés en l’absence de réception de l’ouvrage ne profite qu’à la personne ayant introduit l’instance en référé.
Maître Alexandre GASPOZ, Avocat à NICE en droit commercial vous conseille en matière de responsabilité contractuelle.
Une société a confié, en qualité de maître de l’ouvrage, à une autre, l’exécution de travaux de voirie et réseaux divers dans la propriété de deux époux.
Se plaignant du retard dans la réalisation des travaux et de désordres, ceux-ci ont assigné en référé les deux sociétés et ont obtenu la désignation d’un technicien lequel a déposé un rapport.
Une transaction d’indemnisation a été conclue avec le maître de l’ouvrage lequel a assigné, l’entrepreneur en indemnisation de ses préjudices.
La cour d’appel condamne l’entrepreneur au paiement de différentes sommes à la société maître de l’ouvrage. L’arrêt d’appel est cassé au visa des articles 2224, 2239 et 2241 du Code civil et de l’article L. 110-4 du Code de commerce.
La Cour rappelle que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (C. civ., art. 2224).
Le même délai s’applique aux actions entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants (C. com., art. L. 110-4).
Elle ajoute que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription et la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès (C. civ., art. 2239 et 2241).
Les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs et leurs sous-traitants se prescrivent par 10 ans à compter de la réception des travaux (C. civ., art. L. 1792-4-3 créé par L. n° 2008-561, 17 juin 2008).
Ce texte ne saurait ainsi recevoir application lorsqu’aucune réception de l’ouvrage n’est intervenue.
Avant l’entrée en vigueur de la loi de 2008, la Cour de cassation avait décidé que la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres de construction révélés en l’absence de réception se prescrivait par 10 ans à compter de la manifestation du dommage (Cass. 3e civ., 24 mai 2006, n° 04-19.716).
Le délai d’action contre le constructeur, initialement de 30 ans, avait ainsi été réduit.
Dès lors, la cour d’appel a exactement retenu que le délai de prescription applicable en la cause était celui de 5 ans et que ce délai avait commencé à courir à compter du jour où le maître d’ouvrage avait connu les faits lui permettant d’exercer son action à l’encontre du constructeur.
Cependant, la Cour de cassation rappelle sa jurisprudence selon laquelle seule une initiative du créancier de l’obligation peut interrompre la prescription et que lui seul peut revendiquer l’effet interruptif de son action et en tirer profit (Cass. com., 9 janv. 1990, n° 88-15.354).
De la même façon, lorsque le juge accueille une demande de mesure d’instruction avant tout procès, la suspension de la prescription, qui fait, le cas échéant, suite à l’interruption de celle-ci au profit de la partie ayant sollicité la mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d’exécution de la mesure et ne joue qu’à son profit (Cass. 2e civ., 31 janv. 2019, n° 18-10.011).
Ainsi, l’interruption, puis la suspension de la prescription quinquennale de l’action en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres révélés en l’absence de réception de l’ouvrage n’avaient pas profité au maître de l’ouvrage, l’instance en référé ayant été introduite par les tiers, au profit desquels les travaux avaient été exécutés.
En retenant que l’action engagée par le maître de l’ouvrage sur le fondement contractuel, en l’absence de réception, se prescrit par 5 ans en application de l’article 2224 du Code civil ou de l’article L. 110-4 du Code de commerce , que l’assignation en référé a interrompu le délai de prescription et que ce délai s’est trouvé suspendu durant les opérations de consultation jusqu’au dépôt du rapport, la cour d’appel viole les articles 2224, 2239 et 2241 du Code civil et l’article L. 110-4 du Code de commerce.
Cass. 3e civ., 19 mars 2020, n° 19-13.459, FS-P+B+R+I : JurisData n° 2020-003958