Prescription de l’action publique : le point de départ nécessite d’être vigilant !
Maître Alexandre GASPOZ, Avocat au Barreau de NICE, vous informe en droit commercial.
Par un arrêt 3 décembre 2019, la Cour de cassation a rendu une décision remarquée concernant le délai de prescription de l’action publique en matière de pratiques commerciales trompeuses.
En 2001, la société BNP Paribas a commercialisé un produit financier promettant le triplement du capital investi en 10 ans, assorti de la garantie de récupérer l’investissement à l’échéance, auquel ont souscrit de nombreuses personnes entre le 12 juin et le 15 juillet.
La société a été poursuivie devant le tribunal correctionnel du chef de pratiques commerciales trompeuses reposant sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur les qualités substantielles du bien ou du service (C. consom., art. L. 121-2, 2°, b).
Il lui est reproché d’avoir entre le 12 juin 2011, terme de l’investissement des premiers contrats, et le 28 mars 2014, date de la dernière plainte, commercialisé ce placement sur la base d’une brochure commerciale contenant des mentions laissant clairement entendre au consommateur qu’il aura la certitude de récupérer son investissement à l’échéance des 10 ans, même en cas de performance négative du portefeuille, sans expliquer comment s’imputent les frais de gestion sur les résultats attendus.
Concernant des faits antérieurs à la loi n° 2017-742 du 27 février 2017, le délai de prescription était de 3 ans à compter du jour où le délit avait été commis.
Ensuite, les pratiques commerciales trompeuses étant considérées comme un délit instantané, le délai aurait dû commencer à courir au jour où le message a été diffusé, soit en juin 2001.
Ces remarques auraient dû conduire à constater la prescription des faits.
Mais en pratique, il est fréquent que le consommateur ne découvre que tardivement le caractère trompeur de la pratique commerciale.
C’est pour cette raison que la jurisprudence a affirmé que « le point de départ du délai de prescription de l’action publique doit être fixé au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice de cette action ».
Le délai ne peut donc débuter tant que les victimes n’ont pas été en mesure de constater le défaut de conformité entre ce qui était promis et ce qui est réalisé.
Il reste à déterminer ici à compter de quelle date les victimes ont eu la possibilité de constater la fausseté de la pratique incriminée.
Si les juges du fond ont bien appliqué le report du point de départ du délai de prescription, ils ont néanmoins constaté la prescription et relaxé la société car les souscripteurs recevaient chaque année un relevé annuel concernant la situation de leur compte et pouvaient, dès 2002, constater que l’investissement ne correspondait pas à la somme qu’ils avaient versée (celle-ci étant amputée des frais d’adhésion dont il était fait état).
D’ailleurs, plus de la moitié d’entre eux avaient résilié leur contrat en 2006.
Les souscripteurs disposaient, dès 2002, des éléments leur permettant de déposer plainte et pouvaient le faire jusqu’en 2005, date limite du délai de prescription.
Selon les demandeurs au pourvoi, ce n’était qu’après la mise en œuvre de la garantie de récupérer l’investissement, donc « au terme » du délai de 10 ans, que le caractère trompeur de la brochure commerciale pouvait être découvert, soit en 2011.
L’argument n’a pas convaincu la Cour de cassation qui estime la décision de la cour d’appel justifiée.
Procédant de son appréciation souveraine quant au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, elle n’a pas fondé sa décision relative à la prescription sur l’absence de mention dans la prévention du triplement du capital et des frais d’adhésion.
Le caractère trompeur de la pratique commerciale peut alors apparaître au souscripteur normalement informé et raisonnablement attentif bien avant la mise en œuvre de la garantie attendue… en examinant en détail le relevé annuel.
Cass. crim., 3 déc. 2019, n° 18-86.317, D : JurisData n° 2019-022017